lundi 25 octobre 2010
Le jeune public, avenir des politiques de démocratisation culturelles ?
Journées de la Scène/l'Orcca/Nova Villa
(Première table ronde)
En tant qu’autrice de théâtre, la démocratisation de la culture est une de mes questions de fond : pour qui j’écris du théâtre, aujourd’hui ? Cette question du rapport avec le public est une urgence à laquelle notre théâtre contemporain doit vraiment réfléchir. Heureusement, en regard de cette question, certaines spécificités du théâtre pour le jeune public me rendent optimiste :
- c’est un public qui n’a pas le même âge que les équipes artistiques et les programmateurs, donc un public différent, auquel on s’intéresse par nature
- c’est un public dont l’âge change chaque année, rien n’est donc jamais gagné, il faut sans cesse recommencer avec de nouveaux enfants
- et c’est un public qui fait ses premières rencontres avec le théâtre, ce qui met à la fois la barre très haut pour nous (ne pas les décevoir) et nous offre une grande liberté (ils ont peu de préjugés).
Pour toutes ces raisons, le jeune public me paraît être un espace idéal par son ouverture, vers une plus grande démocratisation de la culture. Dans ce “jeune public” global, il faut distinguer plusieurs publics très différents : les bébés, les enfants et les adolescents, sans oublier les adultes accompagnants (famille, médiateurs, enseignants…) pour lesquels, souvent, c’est aussi un début dans l’expérience de spectateur.
Comment travailler avec ce “jeune public” différent, et dans cette optique de démocratisation, justement ?
Loin du clivage l’art pour l’art/l’instrumentalisation de l’art, qui tient beaucoup à notre regard français sur ce mot “art”, je défends une création théâtrale vivante qui replace le public au cœur de son processus de travail : à la fois source, énergie et vocation de nos pièces et spectacles. C’est parce que je travaille avec et pour ces personnes d’âge, de culture et de ressentis différents des miens que je peux élargir mon champ artistique, en écho au leur : ils m’emmènent ailleurs, autrement.
Pour ce faire, pour profiter entièrement de ce champ si riche qui nous est offert, aujourd’hui, il est temps d’élargir notre cadre de travail : sortir du seul objet pièce/texte à jouer/spectacle pour travailler l’écriture et le théâtre sur des temps plus variés, allant du presque instantané à l’accompagnement sur le long terme du quotidien des théâtres et de leur public, afin de partager (sans avoir à l’expliquer) l’interaction entre la vie quotidienne d’un territoire et la fiction théâtrale qui peut s’y créer. C’est une question d’espace-temps de travail à ouvrir, à modifier, à réfléchir plus librement, en toute justesse et originalité, projet par projet.
Les auteurs doivent revenir habiter les lieux théâtraux au quotidien ou régulièrement, afin que le vivant de leurs écritures redevienne une force et une source de la vie théâtrale et de la relation avec les publics. C’est le travail que j’ai entrepris par exemple avec Nova Villa, autour du projet “Champagne” cette saison, avec le Centre Culturel Pablo Picasso d’Homécourt et la compagnie En Verre et Contre tout, ou encore avec le Théâtre du Rivage, sur plusieurs années.
Lorsque ces projets expérimentaux sont bien pensés, chaque participant à sa place, faisant son métier, cette nouvelle relation entre l’écriture vivante, les lieux de théâtre et leurs publics génère de nombreux apports artistiques pour le théâtre jeune public (et le théâtre contemporain en général). De nouvelles méthodes de travail peuvent alors se développer, privilégiant une interactivité créatrice avec le public, notamment les adolescents, auxquels il faut aujourd’hui trouver de nouvelles places de spectateurs-acteurs, plus impliqués dans les étapes des créations qui leur sont destinées. De nouvelles formes théâtrales peuvent se déployer, en écho à ces cultures et sensibilités particulières des bébés, des enfants ou des adolescents (feuilletons, transdisciplinarité avec la musique, la danse…etc.). Une meilleure interaction entre le milieu scolaire et le milieu théâtral se déploie, basée sur la complémentarité de nos fréquentations de la langue, du corps, de la fiction. Dans un geste tant artistique que politique, ce public jeune (bébés, enfants) permet aussi d’associer les accompagnants (familles, médiateurs) aux jeunes spectateurs, invitant toute une population non familière avec le monde du théâtre. Ces nouvelles relations artistiques avec de jeunes/nouveaux spectateurs aux préjugés encore minimes nous permettent aussi d’ouvrir grand notre théâtre sur le monde, sur la diversité des langues, des dramaturgies, des façons de jouer, de représenter…
Alors, quels souhaits pour le théâtre jeune public de demain ?
Prolonger son chemin inventif lancé depuis des années en privilégiant l ‘intelligence sensible, la sensorialité, le dialogue de part et d’autre de la scène, et durant tout le processus de création.
Former les professionnels comme les publics, les médiateurs comme les tutelles à la richesse de cet espace de création théâtrale : pour apprécier un nouveau goût, il faut apprendre à y goûter.
Bénéficier d’une vraie économie à la hauteur de nos ambitions, qui nous donnera à tous le temps de travailler en profondeur dans cette relation professionnels de spectacles/ public, le cœur de notre travail artistique, pour voir toutes les nouvelles formes, histoires et interactions qui palpitent aujourd’hui, se déployer.
Repenser l’espace-temps de notre travail. Défendre le long terme, résister à la quantification, à l’événementialisme, à l’instrumentalisation comme au repli narcissique en leur préférant les émotions partagées régulièrement et la liberté de création en vrai dialogue avec le public.
Enfin, continuer de résister ensemble pour que cet espace-temps de travail et de rencontres humaines continue à ne servir à RIEN de fléché : c’est grâce au plaisir personnel et unique ressenti par chacun des participants de ce dialogue autour de la scène que tant de gains collatéraux peuvent en découler et se multiplier, devenir étincelles à leur tour et rallumer le feu d’un vrai théâtre inventif, convivial, ouvert à tous, profondément humain et réellement contemporain.