Pour le livre qui retrace les 10 années de direction du Théâtre de l'est parisien par Catherine Anne, enfin, Neuf saisons et demie, comme le dit son titre, j'ai écrit un article retraçant l'un de mes épisodes préférés de ma saison 2003/004, Le Bureau :
Le Bureau : nos écritures vivantes
“Le Bureau”, késaco ? C’est un feuilleton théâtral original, écrit par 24 auteurs et autrices vivant/e/s, en 9 mois, il y a 7 ans.
Pourquoi ? Première autrice associée au Théâtre de l’est parisien dirigé par Catherine Anne, j’ai voulu partager avec d’autres cette chance rare : un espace-temps précis dans lequel ancrer mon travail.
Et j’ai cherché un projet via lequel partager avec le public la richesse et le vivant de nos écritures d’aujourd’hui, sans didactisme, dans le plaisir et l’inventivité. J’ai cherché un cadre permettant de vraies écritures personnelles ET le plus grand nombre possible d’auteurs/trices participant/e/s, et la forme feuilletonnesque que j’aime depuis des années s’est immédiatement imposée. Il s’agissait aussi de faire découvrir ce théâtre qui changeait de nom et d’orientation à tous ces auteurs/trices qui allaient y entrer. Nous avons donc imaginé une écriture feuilletonnesque et nomade à l’intérieur du théâtre, chacun/e écrivant chaque fois dans un espace différent.
Donc écrivant sur quoi ? J’ai trouvé un bureau aux Puces, un bureau de bois des années 50, si habité déjà, si vivant, qu’il est devenu à la fois et le support concret et le héros-mobilier de cette fiction théâtrale que, dès le mois de septembre 2003, nous avons lancée.
La règle du jeu était simple : chaque auteur/trice s’inscrivait pour deux heures d’écriture consécutives dans le théâtre, le jour et à l’horaire de son choix, entre septembre 2003 et mai 2004. Dès son inscription, il/elle recevait les épisodes du feuilleton, au fur et à mesure de leur écriture, SAUF celui qui le précédait : celui-là, il/elle le découvrait sur place seulement, et avait alors deux heures, montre en main, pour écrire son épisode.
Le bureau-meuble s’est vite chargé de clins d’œil des auteurs/trices déjà venu/e/s pour les prochain/e/s : menus objets, indices dans les tiroirs ou gravures sur son plateau, tandis que la fiction se développait loin du 20° arrondissement (force de la fiction démultipliée !), tout en haut d’un phare perdu en pleine mer… Et chacun/e écrivait dans sa langue, offrant un éclat de son univers propre, écrivait la suite de ce feuilleton collectif avec pour seule nourriture son monde intérieur et l’espace théâtral concret qui l’entourait : batterie de projecteurs de la réserve électrique, banquettes et miroirs des loges, passants dans la rue, oiseaux dans le ciel au-dessus de la terrasse ou décor silencieux d’un spectacle à venir, en attente, sur le plateau… Ecrivait à l’ordinateur ou sur papier, à la lumière du jour ou sous le halo de la lampe jaune clipée au bureau, face au meuble ou assis/e en biais…
Puis nous avons eu envie de partager le plaisir et l’étonnement de ce pari avec le public. Alors nous nous sommes réuni/e/s un matin de juin, chacun/e muni/e de son ciré, de son k-way ou de son imperméable (pour nous protéger des embruns que nous avions déchaînés), nous nous sommes distribué tous les rôles (multiples), les bruitages (très expressifs) et le soir même, devant une salle comble, d’âges mélangés, nous avons donné une lecture unique, collective et débridée de ce “Bureau”, épisodes 1 à 24.
Et la phrase qui me reste depuis, qui m’habite, me motive et met chaque jour la barre de mon travail très haut, c’est le cri du cœur aussi étonné qu’emballé de quelqu’un, dans le public, qui m’a dit, à la sortie : “Alors c’est ça, le théâtre contemporain ? Si c’est ça, je veux bien !”