lundi 31 mai 2010

Si j'étais Grand… sur scène


Un projet de la Compagnie du Réfectoire (Bordeaux), mises en scène A. Detée et P. Ellouz
Présentation publique à l'OARA (Bodeaux), avec le soutien de l'IDDAC, et au Centre Culturel Jacques Raphaël Leygues (Villeneuve sur Lot)

Ecrire des textes spécialement pensés pour le théâtre amateur est un geste artistique et politique. Parce qu’amateur veut dire “qui aime”, je veux régulièrement répondre à la demande du théâtre amateur de tous âges : des textes courts, avec de nombreux personnages et une ouverture qui permette à des comédiens non professionnels de trouver du plaisir à jouer. Mais ce, sans rien réduire ni de ma langue, ni de mon univers théâtral, ni de ce qui surgit sur le papier. C’est compliqué de se couler dans ce cadre, mais important, et quel plaisir et quelle émotion partagée comme hier soir, à Bordeaux, dans la salle de l’OARA, en assistant aux représentations des 3 groupes de jeunes comédiens du projet “Si j’étais grand”.
Comme pour chaque création, j’ai vu naître mes personnages, avec toute la justesse de leur âge ajoutée, et toute son intensité ; ou plutôt renaître, grandis, changés, retrouvés, car tous ou presque viennent du “Jardin de Personne”, cinq ans de fiction et deux ans réels plus tard. Le goudron synthétique a recouvert les herbes folles et tous ont basculé de l’enfance dans l’adolescence…
Pour ma deuxième participation à ce projet inventé par la Compagnie du Réfectoire, j’ai aussi réalisé qu’il ouvre sur une question plus vaste encore que l’avenir des enfants et des adolescents d’aujourd’hui : celle de l’être humain debout au milieu de l’espace-temps. Que veut dire grandir ? Comme disait Mike Kenny : quand est-ce qu’on est “grand” ? Est-ce qu’on s’arrête un jour de grandir ? Et que change le temps ? Comment se découpe le temps ? Jusqu’où peut-on le dilater… ?
Enfin, l’ouverture européenne de cette troisième saison qui me ravit par sa diversité nous a pourtant étrangement rassemblés tous les trois autour du même cœur de nos pièces, je crois : la force créatrice de la pensée humaine, et la puissance résistante de nos mondes intérieurs face à la réalité.
Longue vie à un projet si humain, si profond, si ouvert et si riche en possibilités.

jeudi 27 mai 2010

Ank ! Ang ! je suis un Oi sauvage - Le feuilleton parallèle

en deux langues et trois propositions, au théâtre Jean Arp, à Clamart
Un projet mené par Postures/Pascale Grillandini et Marianne Ségol
avec une classe de Nanterre, une classe de Clamart, une classe de Stockholm, leurs enseignants, le Théâtre Jean Arp et le Riksteatern de Stockholm (Suède).




En ces temps troubles et incertains pour la culture en Europe, j’ai le sentiment d’avoir vécu un moment rare le 25 mai dernier, au Théâtre Jean Arp, à Clamart, lors de la présentation du travail mené par Postures (P. Grillandini et M. Ségol), le Théâtre Jean Arp et le Riksteatern (Stockholm) sur toute la saison avec trois groupes de jeunes, en France et en Suède.
Prolongation naturelle des comités de lecture franco-suédois mis en place par Postures la saison dernière, et premier développement d’envergure d’Ank ! Ang !/bis (= le feuilleton parallèle), ce projet a bâti un espace artistique commun rare entre professionnels et amateurs. Via une fiction multiforme et multilingue préexistante mais toujours en cours d’écriture, tous les jeunes se sont frottés à la force de la dramaturgie, au plaisir des mots et de l’invention, développant ensuite à leur façon, personnelle ou en groupe, autant de ramifications possibles à ce monde des Ois et des rêves. Chaque texte a ensuite été traduit par M. Ségol en suédois ou en français afin que chacun découvre en amont le travail des uns et des autres.
Et ce que j’ai vu sur scène ce soir-là, ce sont trois groupes de jeunes qui, malgré leurs cultures différentes, partageaient un même plaisir du théâtre à travers lequel ils avaient, chacun et chacun, trouvé un moyen original de s’exprimer. N’est-ce pas ce que nous cherchons tous à transmettre et à partager ?
Je suis touchée par ce qu'ils ont écrit, aussi différent les uns des autres que ce soit. Touchée par la force de leurs fictions, par leur plaisir d'inventer, palpable, par leur humour, leur regard sur la vie, réelle comme invisible, et par l'intimité de leurs voix comme par la puissance dramaturgique créée par chaque groupe.
Pour eux aussi, le temps d'une année scolaire, les Oi ont existé, ces humains mutants qui sillonnent les cieux d'Europe en bandes migratoires polyglottes. Ils leur ont créé de nouveaux personnages absolument crédibles, surprenants, de tous âges, et quand je regarde la ville, je la vois peuplée maintenant de tous ces humains qui volent au-dessus de nous ou décollent soudain du trottoir où ils marchaient. Peuplée de toutes ces nouvelles POSSIBILITÉS. Certains meurent, abattus par des chasseurs ou broyés par des réacteurs d'avion, d'autres se font voler leurs ailes ou disséquer, d'autres tombent amoureux… ou pas. Et nous passons notre temps à sursauter : est-ce inventé ? est-ce possible ? où est la réalité ?
Ces deux feuilletons, l’officiel et le parallèle, vont continuer à se développer sur le long terme, chacun de leur côté, mais la richesse de leur rencontre a été telle sur ce projet que je leur souhaite encore beaucoup de croisements de cette force et de cette qualité. Et, à tous les jeunes participants, de garder longtemps en eux ce plaisir du théâtre d’aujourd’hui, de ce théâtre vivant qu’ils ont ressenti et su nous faire partager.

Karin Serres, mai 2010

* Ank ! Ang ! (je suis un Oi sauvage) est le feuilleton théâtral multilingue et multiplumes que j'ai lancé pour LABOO7. A ce jour, 6 épisodes écrits par K. Serres, D. Laucke, E. Uddenberg, S. Levey, F. Iacobelli et J. Caldas en français, allemand, suédois, italien et portugais.

Les Papilles au Channel


Quel territoire commun entre l'écriture et la nourriture ? Pour répondre à cette question, d'octobre 2009 à juin 2010, le CM1 de l'Ecole de Virval, à Calais, a accompagné à distance l'expédition “A la recherche du meilleur goût du monde de toute la vie”, faisant ses propres expériences et s'ouvrant au monde du goût dans son infinie diversité. Vallèr Umami et Virgili Apr, les deux explorateurs, achèvent bientôt leur mission. Quel sera leur résultat ? Et vous, quel est le meilleur goût du monde de toute votre vie ?

vendredi 14 mai 2010

Marzïa à l'IVT



Lundi 10 mai, nouvelle lecture de Marzïa, cette fois-ci en français, et dirigée par Jacques Connort et Alexandre Tschoubanoff, à l'IVT, l'ancien “347”, le théâtre où on montait nos spectacles à l'Ensatt (et, encore avant, le Grand Guignol), avec Cédric Colas, Michèle Garcia, Miglen Mirtchev et Laurent Montel.

Pas de fantômes visibles, cette fois, mais les voix si variées de toutes celles et de tous ceux qui habitent Alvaro et Luis, et l'immense photo du cais réel projetée avant de commencer…

Et je réalise tout à coup que l'arrivée du bateau, c'est un cadeau pour Marcia. Qu'ils doivent lui faire, de temps en temps, les mauvais jours, quand ils sentent qu'elle en a vraiment besoin. Et que s'ils restent sur ce quai désert et fissuré, Nuno, Alvaro et Luis, tous les trois, c'est pour elle aussi : tant qu'elle reste là, impossible de l'abandonner.
Ce qu'en dit Miglen Mirtchev : Peut-être que les slaves et les portugais ont quelque chose en commun ?

Porto - Fazer a festa et MAD



Invitée à Porto (Portugal) pour la 3° Semana Atinj, dans le cadre du festival de théâtre jeune public “Fazer a festa” : une pluie de pétales, d’émotions et de réflexions

Qu’est-ce qui fait la qualité et la force d’un spectacle pour le jeune public ? Pour moi, (comme dans le théâtre pour adultes) c’est la place laissée au spectateur pour qu’il puisse se faire son propre spectacle mental, pour qu’il puisse se sentir invité et actif dans le dialogue avec ce qui se joue sur scène. C’est cet espace irréel, irrationnel, né du travail au plateau, de l’écriture, du jeu avec la langue, les mots, …etc. qui invite le spectateur à ressentir plus qu’à réfléchir, dans l’instant de la représentation, et rend l’histoire plus vraie que la réalité.
Comme tout le début du spectacle “O Rei vai nu”, ce jeu sensuel de tissus et de plis, ce ballet de bouts de corps, muet, ces déplacements étonnants, toute cette attente habitée qui nous met en appétit.
Ou la simplicité hypnotique d’“História do Sábio Fechado na sua Biblioteca”, une dramaturgie si dense et ouverte en même temps qu’en quelques minutes, nous entrons à l’intérieur de la tête du héros d’où nous vivrons tout le spectacle.
Ou l’incroyable rapport de l’image, du son et de l’histoire dans “Il Colombre”, qui nous fait physiquement et personnellement ressentir le temps qui passe, la brièveté de la vie, son cycle qui nous embarque et l’humour, la nostalgie et le dérisoire qu’il produit.
Ou encore le vertige d’“Historia da Ilha do Tesouro de Stevenson” dans lequel, bien que nous sachions qu’il n’y a que deux comédiens, nous voyons soudain une foule cosmopolite bondir sur le pont du bateau… puis disparaître… puis revenir…etc.
Ou la vivacité et l’humour du flot de langue des marionnettes d’“O Mamulengo de João Redondo” qui nous emporte (même non-lusophone !), dans son tourbillon d’histoires hilarantes pleines de rebondissements.
Tous ces espaces où le réel et la fiction se répondent, toutes ces façons si différentes d’ouvrir des portes et des brèches dans le rationnel de nos vies sont autant de points d’invitations et de rendez-vous entre enfants spectateurs et adultes créateurs, entre public et équipes artistiques. Sans cet intervalle, sans cet espace où TOUT est possible, le spectacle collerait au plancher et n’offrirait pas de place suffisante pour que les spectateurs puissent s’y sentir invités ou y rêver.

Comme l’a dit Joao Luiz, “l’univers est logique mais nos vies sont impossibles à saisir logiquement”, voilà pourquoi le théâtre, cet endroit où nous pouvons recréer la vie différemment pour mieux nous la raconter, les uns aux autres, sans limite d’âge, est si important. Et c’est ce “différemment” qui crée la force du théâtre et lance une passerelle entre le public et ceux qui sont venus lui parler ? Ce sont les parti-pris esthétique ou dramaturgique, les inventions de jeu, de langue, d’écriture, de dramaturgie et tous les “trous” laissés intentionnellement, les non-dits, les suggestions, qui invitent le spectateur à entrer dans le dialogue que nous lui tendons, pour y prendre sa place, personnellement, et partager plaisir et émotion. Il faut faire confiance à l’intelligence et à la sensibilité de nos spectateurs, y compris et surtout les plus jeunes : la force des spectacles représentés pendant cette 3° Semana Atinj nous l’a prouvé.

Je vais garder en mémoire la richesse de ces quelques jours intenses passés à Porto, pour la 3° Semana Atinj, pendant le 29° Festival Fazer a festa, dans les magnifiques jardins du Palácio de Cristal. Je vais garder toutes mes émotions de spectatrice et puis la chaleur humaine, l’intensité des discussions, les cris des paons, l’ombre des grands arbres, la beauté du coucher de soleil sur le fleuve ou de la pluie oblique des pétales pâles sur l’eau verte, et j’espère que nous aurons bientôt de nouvelles occasions aussi belles de nous rencontrer pour pouvoir échanger sur nos expériences artistiques, nos désirs, nos questionnements poétiques et politiques : c’est le meilleur moyen de faire grandir l’Europe du théâtre contemporain pour le jeune public.



J'ai aussi assisté à la lecture en portugais de ma pièce Marzïa, écrite il y a deux ans à Lisbonne, grâce au projet “Partir en écriture” de Patrice Douchet/Théâtre de la Tête Noire (et traduite par Alexandra Moreira-Silva, avec le soutien de Beaumarchais) dans le cadre de la Mostra Anual de Dramaturgia, hébergée par le festival.

Son résumé en portugais : Na ponta de um cais deserto, em frente ao rio, Marcia, a mãe, espéra… os turistas que dantes vinham em grande numéro à Estrela do Sul ; Nuno, o marido que tem de ir cada vez mais longe para arranjar trabalho ; et Luis, o filho ; e Alvaro… É carnaval, e os fanstasmas reaparecem. “Situada no cais de Almada, à beira Tejo, a acção apresenta-se fragmentada, obedecendo a um rigoroso processo de montagem de Quadros e de imagens, com vista à construção de um vasto painel onde cerca de vinte personagens existem através da evocação continua de cheiros, de sabores, de sons, de cores, na sua maioria inspiradas pelo elemento aquático.” AMS.

Dans cette lecture dirigée par Jorge Louraço Figueira et Mafalda ??, tous les fantômes étaient incarnés, jeunes comédiens en noir, Vasco a pris une présence étonnante derrière ses ray-ban fumées et un paon ou un vieux jogger sont passés pendant la lecture, dehors, sur le balcon du Palácio de Cristal…

Crash Text à Amiens


A la Maison du Théâtre d'Amiens, lundi 19 avril, à 19h30, mon texte “Le noyau” a subi un “Crash Text” vraiment original et fort.
C'est le Kollektif Singulier, un groupement d'artistes interdisciplinaires, qui a inventé ce concept avec la Maison du théâtre : “Nous proposons de travailler d'une autre manière, où la représentation n'est plus un aboutissement mais une échéance, où les rendez-vous sont des essais, des performances, des commandes…

Crash Text : prenez une pièce de théâtre fraîchement écrite, froissez-la en boule et lancez-la contre un mur de toutes vos forces : elle explose en mille morceaux et révèle son cœur fumant. Comme ces cailloux que je ramassais, enfant, dans la montagne, et que je cassais en espérant y trouver des cristaux cachés. (Comment ça s'appelle, déjà ? pas des ammonites, le seul mot qui me vient en tête quand j'y repense; impossible de retrouver leur nom…)
Ce que le Kollectif singulier a créé, sur le plateau, avec mon texte “Le noyau”, je ne l’avais encore jamais vécu et j’en suis encore secouée. En dix jours, avec tous les moyens propres à chacun, cette équipe multidisciplinaire et à géométrie variable explose vraiment la pièce pour mieux révéler son cœur sensoriel, son noyau secret. En toute liberté instinctive, respectueuse et enthousiaste. Et ce, en vraie relation avec le public, le dernier soir, même s’il ne s’agit pas de donner un spectacle mais plutôt de partager un matériau éphémère, palpitant et volatil tout chaud (ce que le public nouveau et curieux semble apprécier). La pluie de pétales de cerisier, la diffraction du monde par terre, les voix et pensées tressées, les images troubles, tremblées, une profonde étrangeté, toute cette exploration sensible a donné de la chair aux détails, et, à cette histoire, une sensorialité extraordinaire, exacerbée.
Ce Crash Text m’a projetée dans un état d’urgence, d’émotions et de questionnements mélangés. Touchée par ce retour si fort et si ouvert qu’ils m’ont offert, je me demande maintenant comment travailler avec cette force brute, non linéaire, multiplie et intuitive. Chaque représentation de l’une de mes pièces m’emmène plus loin sur ma route d’écriture. Aujourd’hui, j’ai la sensation que ce Crash Text intense vient de me propulser très loin en avant, à des années-lumière.